RÉINTRODUCTION D’ESPÈCES

RÉINTRODUCTION D’ESPÈCES
RÉINTRODUCTION D’ESPÈCES

Réintroductions d’espèces

Le 3 mai 1983, un couple de lynx (Lynx lynx ) en provenance de Tchécoslovaquie était relâché en forêt de Ribeauvillé (Haut-Rhin). Cette intervention, qui allait déclencher bien des passions, était l’aboutissement du travail opiniâtre d’un groupe local de protecteurs de la nature (le groupe Lynx-Alsace) soutenu par le World Wildlife Fund (W.W.F.). C’était la première phase de la réintroduction de cette espèce dans le massif vosgien, le lynx ayant disparu de cette région depuis près de cent cinquante ans. Des opérations similaires concernant cette même espèce sont menées en Suisse depuis 1971.

Cette réintroduction d’un animal, qui n’était pourtant pas la première en France, a attiré l’attention sur une pratique qui se développe et qui s’applique aussi au monde végétal. Entre 1973 et 1986, B. Griffith et ses collaborateurs ont recensé près de sept cents réintroductions d’oiseaux et de mammifères chaque année dans le monde. En France, depuis 1950, une trentaine d’espèces de vertébrés ont fait l’objet de réintroductions et de renforcements. En 1987, l’Union internationale de conservation de la nature a défini deux types d’opérations: d’une part, les réintroductions, qui consistent “à introduire une espèce végétale ou animale dans une région où elle était indigène avant son extermination par l’homme ou par une catastrophe naturelle”, et, d’autre part, les reconstitutions, renforcement ou repeuplement, qui consistent “à introduire une espèce végétale ou animale dans une région où elle est déjà présente [...] lorsqu’on craint qu’une population peu nombreuse n’atteigne un seuil dangereux de consanguinité, [...] que sa reconstitution par accroissement naturel ne soit dangereusement lente ou lorsqu’un échange artificiel et des taux artificiellement élevés d’immigration sont nécessaires pour éviter la consanguinité entre des populations isolées et peu nombreuses vivant dans des îles biogéographiques”.

Les réintroductions obéissent à des motivations diverses, qui peuvent être d’ordre culturel (reconstitution d’un bestiaire ou d’un paysage familier) et/ou scientifique (restauration de la diversité biologique, maintien d’espèces aux propriétés pharmaceutiques intéressantes, régulation d’espèces quand celle-ci n’est plus assurée par les prédateurs, gestion de milieux...). Globalement, elles s’inscrivent dans une tentative de freiner l’érosion de la diversité biologique dont l’ampleur a été démontrée lors de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, 1992). L’accroissement de la population humaine ainsi que certains moyens techniques de plus en plus puissants de destruction ou de modification des écosystèmes expliquent en grande partie cette érosion. Les réintroductions tentent de remédier à cette situation et représentent l’un des moyens proposés par la Convention sur la diversité biologique signée par la Communauté européenne et ses États membres le 9 juin 1992 à Rio de Janeiro. Les différents aspects des réintroductions seront traités à travers quelques exemples pris dans les règnes végétal et animal.

La réintroduction d’espèces végétales

La lysimaque de Minorque (Lysimachia minorencis ) était une plante endémique de cette île des Baléares, qui a disparu de son milieu naturel depuis 1926. Néanmoins, quelques pieds de cette espèce étaient conservés dans divers jardins botaniques européens, dont celui de Berlin. Particulièrement intéressé par les problèmes que posent les réintroductions, le conservatoire botanique de Brest, à qui l’on doit une reconstitution réussie du bois de senteur blanc (Ruizia cordata ) dans l’île de la Réunion, s’est intéressé à cette lysimaque en 1974. À partir de la souche existant à Berlin, le conservatoire de Brest a réalisé une culture intensive permettant la production de cinquante millions de graines. Celles-ci ont été distribuées à des jardins botaniques. En 1989, une première réintroduction a été tentée à Minorque. Seule une partie des graines a germé pour donner des plantes dont la croissance a été perturbée, alors que celles qui ont été cultivées au jardin botanique du Muséum de Paris se sont développées normalement. Longtemps maintenue en culture, cette plante s’est-elle biologiquement modifiée? Peut-elle se réacclimater durablement?

Le conservatoire botanique de Brest a aussi entrepris de sauver une espèce dioïque (les fleurs mâles et femelles sont portées par des pieds différents), un mahot de l’île Maurice, Dombeya mauritiana , dont il ne reste plus au monde qu’un seul pied mâle. Des boutures de cet arbre ont été rapportées à Brest et mises en culture, celles-ci ne pouvant donner que des pieds mâles. Après de multiples essais, une hormone capable de féminiser les fleurs mâles a été synthétisée. Fécondées par du pollen mâle, ces fleurs ont donné des graines fertiles. Malheureusement, les plantules qui en ont germé sont fragiles. De nouvelles expérimentations permettant leur culture in vitro ont été entreprises. C’est une nouvelle voie qui s’est ouverte, car il existe de nombreux cas similaires où ne reste d’une espèce qu’un spécimen (café marron de l’île Rodriguez, Ramosmania heterophylla , ou vigne grimpante du rio Palenque, Dicliptera dodsonii ).

Ces deux exemples montrent que de nombreuses difficultés techniques accompagnent les réintroductions de plantes. Le recours à des méthodes faisant appel à diverses disciplines scientifiques est indispensable.

La réintroduction d’espèces animales

Réintroduire des espèces animales n’est pas plus aisé, même si certaines d’entre elles ont pu être réinsérées dans leur milieu d’origine sans grande difficulté, comme le grand tétras (Tetrao urogallus ) en Écosse au XIXe siècle ou le bouquetin des Alpes (Capra ibex ) dans de nombreux massifs de l’arc alpin depuis le début du XXe siècle.

Le programme international de réintroduction du gypaète barbu (Gypaetus barbatus ) dans les Alpes, qui a débuté en 1986, est un exemple de la persévérance nécessaire avant que des résultats positifs soient obtenus. Ce rapace, jadis le plus grand des oiseaux des Alpes (près de 3 m d’envergure), en a disparu au début du XXe siècle. Il subsista en Corse et dans les Pyrénées. Classé communément parmi les vautours, il a, en effet, subi l’opprobre qui s’attachait à ces oiseaux au XVIIIe et au XIXe siècle. Alors que les aigles étaient considérés comme “plus nobles” et “moins bassement cruels”, les vautours (donc le gypaète barbu) apparaissaient comme n’avoir “que l’instinct de la basse gourmandise et de la voracité: ils ne combattent guère les vivants que quand ils ne peuvent s’assouvir sur les morts”. Cette opinion de Buffon sera reprise et amplifiée. Non content de se repaître de charogne, le sinistre gypaète a la réputation d’attaquer avec férocité le petit gibier, les jeunes du bétail, les faibles, le chamois, et même, dit-on, les enfants. Lorsque la proie est trop grosse pour être tuée à coups de bec et de serres, l’odieux animal la précipite du haut de quelque falaise au fond d’un abîme où il ira gloutonnement festoyer. Comment, avec une telle image, ne pas être une victime toute désignée du plomb et du poison.

Peu prolifique (un jeune par an), pourvu d’une maturité sexuelle tardive (entre 6 et 10 ans), activement détruit, le gypaète, prisé par les collectionneurs (spécimens empaillés, œufs) allait disparaître des Alpes entre 1912 et 1920. À l’initiative d’un Français se constitue en 1972 un groupe de réflexion franco-helvético-italien qui organise une réunion internationale pour la réintroduction du gypaète dans les Alpes. Il apparaît que, compte tenu de la protection générale des rapaces, de l’interdiction de la strychnine (poison) et de l’abondance de gibier de montagne (donc de cadavres disponibles), le gypaète pourrait être réintroduit. D’autres projets voyant le jour en Autriche, les promoteurs décident en 1978 d’unir leurs efforts et de lancer un programme international qui reçoit le soutien du W.W.F. et de l’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (U.I.C.N.). Cinq régions sont retenues comme étant les meilleurs sites de lâcher: vallée de Rauris en Autriche, Berne-Valais et les Grisons en Suisse, Berchtesgaden en Allemagne et la Haute-Savoie en France. Les premiers lâchers ont eu lieu en 1986 en Autriche et en 1987 en France.

La méthode adoptée s’est déroulée en deux temps. D’abord, il a fallu constituer des couples reproducteurs en captivité à partir de spécimens déjà captifs (zoo) ou capturés hors d’Europe (Afghanistan), mais appartenant à la même sous-espèce, Gypaetus barbatus aureus , dont l’aire de répartition est indo-européenne. Plusieurs centres d’élevage ont été installés, le plus important se trouvant en Autriche.

Les premiers jeunes nés en captivité ont été gardés pour la reproduction. Cette première phase est longue en raison des caractéristiques biologiques de cet animal: maturité sexuelle tardive, fécondité faible (50 p. 100 des couples se reproduisent régulièrement et pondent deux œufs) et mortalité juvénile forte (un jeune sur deux atteint l’âge de trois mois). À ces facteurs inhérents à l’espèce se sont ajoutés des problèmes liés à tout élevage.

Puis, après avoir constitué un stock de reproducteurs suffisant, deux méthodes de lâcher ont été étudiées. La première, proposée par l’Autriche, consiste à installer dans une aire (vire rocheuse avec surplomb orientée au soleil levant) deux poussins âgés de trois mois, c’est-à-dire capables de s’alimenter sans leurs parents. Ces jeunes seraient ensuite nourris sur l’aire, sans contact avec l’homme afin d’éviter tout processus d’imprégnation, et pourraient s’envoler le moment venu. La seconde méthode, proposée par la France, vise à construire une volière d’acclimatation (renfermant les jeunes individus) sur le site du lâcher. On prévoit d’installer un charnier à proximité de la volière afin d’habituer les gypaètes au va-et-vient d’oiseaux venus l’exploiter. En effet, c’est fréquemment ce va-et-vient qui alerte les vautours et les attire vers un cadavre. C’est finalement la solution autrichienne qui a été retenue. Près d’une trentaine d’individus ont donc été lâchés par cette méthode dans les Alpes depuis 1986. Leur suivi montre une grande dispersion, conforme à la mobilité juvénile de l’espèce: des gypaètes lâchés en Autriche ont été observés en Savoie et dans les Hautes-Alpes. Dans l’ensemble, les oiseaux se sont bien adaptés et ont trouvé sans difficulté de quoi s’alimenter. Sur les vingt-sept spécimens lâchés entre 1986 et 1990, deux d’entre eux sont morts (cause accidentelle), un a disparu, deux ont été repris (par suite d’inadaptation à la vie “naturelle”). C’est donc une réussite. Celle-ci ne doit pas cacher que de nombreuses difficultés techniques ont été rencontrées durant les différentes étapes: obtenir des oiseaux, les élever, lâcher les jeunes puis les suivre (identification à l’aide de marquage individuel).

Mieux réussir les réintroductions d’espèces

Connaître les causes de la disparition d’une espèce, ou tout du moins les contrôler, est une condition préalable à toute réintroduction. Il ne servirait à rien de réintroduire à grands frais des spécimens voués à une disparition certaine (ce qui a été le cas pour de très nombreuses et coûteuses opérations de repeuplements cynégétiques).

Les réintroductions ne sont pas des opérations ponctuelles. Elles demandent des programmes à long terme (par exemple, il a fallu plus de dix ans d’efforts pour réussir celle du vautour fauve, Gyps fulvus , dans les Cévennes), voire des collaborations internationales (la réintroduction de l’oryx, Oryx leucoryx , dans divers États de la péninsule arabique a demandé une coopération entre différents organismes d’Amérique du Nord, d’Afrique, d’Europe et du Moyen-Orient). De nombreux problèmes d’ordre scientifique accompagnent ces réintroductions: maîtrise des facteurs du milieu, génétique, écologie et éthologie des spécimens réintroduits... Des méthodes sophistiquées, telles que la transplantation embryonnaire ou la culture in vitro, peuvent être utilisées. Mais elles ne doivent pas faire oublier l’importance du facteur humain. En effet, pour certaines réintroductions, notamment celles de prédateurs ou d’animaux perçus comme tels, les promoteurs de ces opérations doivent tout d’abord lutter contre des préjugés ou des craintes ancestrales, fondés ou non (c’est le cas, par exemple, du gypaète barbu et du lynx évoqués précédemment, ou encore de l’ours brun en France). Parallèlement aux recherches effectuées sur les meilleurs moyens techniques à utiliser pour réussir, une réintroduction doit aussi comporter un programme de sensibilisation et d’information pour les habitants de la région où doit être réintroduite l’espèce. Il s’agit non seulement de combattre les fausses idées reçues mais d’associer également au projet ceux qui vont vivre avec cette faune renouvelée, ce qui peut impliquer des contraintes. Les habitants peuvent alors devenir des acteurs locaux vigilants sur le devenir de “leurs” nouveaux hôtes, ce qui augmente les chances de réussite de la réintroduction. Observateurs bénévoles, ils renseignent les responsables sur les déplacements des animaux et veillent sur eux face aux dangers que pourraient faire peser des actes de braconnage ou des curieux intempestifs. Ainsi, les récentes réintroductions de bouquetins dans le parc national des Écrins ou le parc naturel régional du Vercors se sont-elles accompagnées d’un jumelage entre les écoles des lieux de provenance des animaux et les écoles des sites d’accueil. Enfants, enseignants puis parents deviennent peu à peu les plus actifs soutiens de ces opérations, constituant un gage de la pérennité des efforts qu’elles impliquent.

Mieux vaut prévenir que guérir

Aussi satisfaisantes et dynamiques qu’elles puissent paraître, les réintroductions ne doivent pas faire oublier que l’on a souvent été incapable d’assurer la conservation d’une espèce. Pourtant, on sait bien que, en matière de maintien de la biodiversité, il est infiniment plus difficile et coûteux de guérir et de restaurer que de prévenir. Le cas de l’ours brun en France est, à cet égard, tout à fait caractéristique. En effet, malgré une demande pressante des milieux scientifique et associatif, vieille de près d’un siècle, les autorités n’ont pas su prévenir la disparition de cette espèce dans les Alpes et enrayer son déclin dans les Pyrénées, seul massif où survivent à grand peine une dizaine d’individus. Depuis le début des années 1980, de multiples rapports ont été établis et indiquent les mesures à prendre pour arrêter la chute du nombre d’ours dans les Pyrénées afin de permettre la reconstitution d’une population viable. L’exemple d’actions réussies dans d’autres pays européens (Finlande, Norvège, Suède, Tchécoslovaquie...) montre que cela est possible. Malgré l’intérêt verbal que portent de nombreux ministres à cette espèce, l’ours, pourtant officiellement protégé depuis 1979, est condamné à disparaître. Exploitations forestières inadaptées, pratiques de la chasse dans les zones de reproduction et d’élevage des jeunes (zones qui devraient bénéficier d’une protection absolue), aménagements de pistes diverses facilitant l’accès aux véhicules tout terrain dans les derniers refuges de l’ours se sont perpétués. La sauvegarde de l’ours brun dans cette zone passe par un repeuplement de l’espèce grâce à l’introduction d’individus venant des Balkans. Pour autant que les besoins biologiques de l’espèce ne sont pas respectés et que le milieu continue de se dégrader, ce renforcement de population semble illusoire. Il n’en va pas de même dans le Vercors, où élus et associations travaillent de concert au retour de cette magnifique espèce.

Chaque réintroduction doit être précédée d’une étude de faisabilité visant à comprendre les causes de la disparition de l’espèce de son aire d’origine, à considérer les modifications du milieu qui ont pu intervenir depuis lors, à préciser les conditions techniques et scientifiques dans lesquelles sera réalisée l’opération, à assurer le suivi des animaux relâchés dans leur habitat. Enfin, la décision de réintroduction d’une espèce animale ou végétale doit être prise en concertation avec les autorités publiques, les scientifiques et les représentants des populations locales, afin que les engagements pris soient tenus et concourent à la meilleure réussite de la réimplantation.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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